lundi 17 mars 2014

Polar et conte de fée

« Le polar joue sur l'ambivalence puisqu'il crée des personnages de fiction dans des lieux réels. Il joue sur le désir et la réalité. »  
Jean-Claude Liaudet, psychanalyste
    
 


Lorsque le passionné de polars diversifie ses lectures, qu’il se risque à voyager à l’extérieur de l’hexagone, il découvre que le polar vit partout dans le monde et sous des formes originales, expression, chaque fois, d’une géographie, d’une culture, d’un mode de vie spécifiques.
A ce moment-là il peut prendre conscience de l’existence, à la périphérie de l’intrigue, de cet arrière-plan, le contexte social, la vie d’un pays, d’une région.
Je ne dis pas que tous les lecteurs opèrent systématiquement cette démarche. La plupart du temps, ils restent au niveau de l’intrigue, ils ne s’intéressent qu’au récit. Mais, inconsciemment, ils s’imprègnent de tout ce dans quoi le récit est empaqueté. Ils ne se rendent pas compte que leurs choix et le plaisir qu’ils éprouvent à lire un auteur plutôt qu’un autre sont induits par le style de l’auteur, mais aussi et surtout par l’univers original, le contexte particulier dans lequel il fait évoluer ses histoires.
Et souvent, à l’occasion d’une discussion, au cours d’une rencontre littéraire, je m’efforce peu à peu d’orienter les lecteurs vers cette prise de conscience.
Ils sont amenés, s’ils ne l’ont pas fait déjà, par eux-mêmes, à savourer plus nettement les contours, les différences, entre le polar scandinave, le polar espagnol, l’italien, le grec… et même des subtilités entre les romans suédois, norvégiens, danois et islandais.
Par ailleurs, cette toile de fond joue un autre rôle.
Si cet arrière-plan, ce « background » permet d’inscrire le récit de fiction dans la réalité d’une société, sicilienne, suédoise, islandaise ou grecque, il donne aussi ce parfum, ce climat particulier à travers lequel on peut goûter les nuances entre l’univers de Andrea Camilleri, celui de Henning Mankell, celui d’Arnaldur Indridason et celui de Petros Markaris.
Et, alors, découvrir des saveurs et des parfums distincts, bien spécifiques, comme ceux qui différencient les cuisines : paella, moussakas, pâtes aux fruits de mer, saumon et hareng fumés…
En fait, chaque romancier construit une atmosphère personnelle qui oriente le lecteur dans ses choix.
Cette atmosphère, je m’efforce de la créer en jouant sur mes voyages, mes séjours à travers l’Europe, ainsi que mes racines, un pied en Provence, un autre en mer Egée.
Intervient aussi le contexte musical sur lequel, on m’interroge de plus en plus souvent.
Au cinéma, le polar et le jazz, le polar et le rock, une alliance entre images et musiques, rien de bien original. L’irruption de l’art lyrique dans « Diva », ne servait qu’à brouiller les codes, à surprendre, comme les coups de théâtre déconcertent et séduisent dans une intrigue bien ficelée.
L’importance que j’accorde à la musique et aux images dans l'écriture de mes livres me permet de créer ainsi cette atmosphère particulière qui caractérise non seulement le polar mais aussi le film policier classique : l’atmosphère onirique.
Il suffit de se souvenir des films noirs des décennies précédentes, de revenir au « Deuxième souffle », au « Samouraï » et au « Cercle rouge », de Melville, au « Chinatown » de Polansky, ou, plus proches de nous, à « Usual suspects » et « Driver », avec, chaque fois, des personnages étranges dans un décor et des situations qui ne le sont pas moins.
Ce qui est paradoxal, c'est d'observer que ce qui caractérise ces scénarios, c'est aussi la vraisemblance rigoureuse et le réalisme précis, aussi bien dans la peinture des personnages et de leur environnement, que dans la construction des situations, alors que pour ces mêmes œuvres nous pouvons parler de glissement vers l'onirisme.
Prenons le film de Polansky. Une remarquable reconstitution historique, des personnages à la psychologie fouillée, et, comme un leitmotiv, cette obsession de Chinatown, quartier des secrets, du mystère et décor froid, indifférent où se joue la fatalité, alors que ce lieu, à peine suggéré par une succession de métaphores, n’apparaît vraiment qu’à la dernière scène.
Le héros ou l'héroïne, fonctionne alors, dans le livre ou sur l'écran, comme un personnage de contes de fée, franchissant des obstacles, déjouant des pièges dangereux ou s'efforçant de le faire, pour survivre. Mais se trouvant immanquablement métamorphosé ou profondément marqué par les épreuves.
Conte de fée et polar ? Association étrange ?
Pas vraiment. Et cela ne se réduit pas aux références superficielles comme pour le titre « Piège pour Cendrillon ».
Cela va bien au delà.
Et, là aussi, le lecteur devra se montrer perspicace.