dimanche 20 août 2017

Polar et gastronomie


Parmi les remarques que l’ont me fait, il en est une qui n’est pas dépourvue d’humour :
« On mange souvent dans vos livres. »
Et je réponds invariablement, « comme chez Camilleri » qui s’inscrit là aussi dans le sillage de Javier Montalban, mais aussi « comme chez Petros Markaris et Yasmina Khadra ».
Alors que dans les polars du nord, on ne mange pas, on se nourrit, et on boit beaucoup, surtout de l’alcool.
A mon sens, la gastronomie, c’est là l’élément premier qui distingue le polar méditerranéen de son cousin nordique. En Scandinavie, on sert le saumon de différentes façons et le ragoût de renne accompagné de crème fraîche et d’airelles est assez savoureux. Or, on évoque rarement ces plats chez Mankell, Nesbø et quelques autres. On voit, alors, le roman nous proposer, d’un côté, une cuisine avec des produits variés, une certaine richesse de couleurs et de parfums et, de l’autre, une alimentation dont les contraintes climatiques réduisent considérablement la variété mais aussi une alimentation qui souffre du peu d’intérêt manifesté par l’auteur lui-même pour ce sujet.
   On a un peu l’impression qu’au nord d’une certaine latitude, l’on se cale sur le polar US où le héros se délecte uniquement d’un steak épais arrosé d’un café « americano » insipide pour terminer invariablement sur un ou deux verres de Whiskey ou de Bourbon. Et tout est dit. Car on se fixe sur une convention, l'image emblématique du détective dans le polar américain
   Sauf si l’intrigue fait entrer le lecteur dans une trattoria de New-York, un établissement latino de L. A. ou Miami, ou dans les parfums épicés d’un restaurant black de New-Orleans.
   Si, dans le récit, la gastronomie est une pièce de l’arrière-plan qui décrit significativement, un pays, une culture, un mode de vie, je soupçonne que, pour les auteurs méditerranéens, cela va au-delà. Peut-être parce que, modestement, j’en fais moi-même l’expérience.
Ainsi, il suffit qu’un lecteur, souvent avide de conseils pour ses propres compositions, me demande comment je construis mes intrigues pour que je lui fasse une réponse qui le déconcerte totalement :
« Comme je fais la cuisine. »
   Et j’explique. 
   J’ai, dès le départ, une certaine idée du canevas, même si je sais que les péripéties vont se modifier au fur et mesure que le texte écrit se substitue à ce qui n’était que pure imagination, qu’images disparates dans les limbes du cerveau. Au départ, le récit a, au mieux, la forme d’un synopsis. Plus précisément, il ressemble à un squelette que je vais progressivement nourrir, à qui je vais apporter la chair qui lui donnera toute sa consistance. Je mets en place tous les éléments dont je dispose, photos et souvenirs de voyage, lectures, infos… Comme si, avant de cuisiner, j’allais jeter un œil dans le placard de la cuisine, le frigidaire et le congélateur pour voir tout ce dont je dispose pour élaborer un plat.
   Dans le cadre du polar, l’intrigue, l’organisation du récit, les péripéties, tout cela constitue une histoire qui se lit mais qui manque de vie et d’âme, parce que cela apparaît comme un simple constat. Il faut ajouter des éléments qui vont rendre le récit attractif, lui donner vie et vigueur. Accorder ainsi une plus grande importance à l’arrière-plan. En évitant toutefois ces descriptions longues, sans grand intérêt qui plombent certaines productions américaines d'aujourd’hui où l’on pense que l’épaisseur du livre est un signe de qualité. L’arrière-plan doit s’intégrer au récit de manière indispensable pour lui apporter plus de couleur, plus de vie. Et souvent, il présente plus d’intérêt que le récit lui-même. Le lecteur découvre une histoire, mais en même temps, il effectue un voyage dans un lieu, une région, un pays qui ne lui sont pas totalement familiers, au milieu d’hommes et de femmes dont le mode de vie est différent du sien. En un mot, on peut se contenter de raconter une histoire ou d’aller plus avant et inscrire l’histoire dans un cadre particulier. Comme en cuisine où l’on peut se satisfaire de cuisiner un plat traditionnel ou le revisiter avec des éléments différents, le petit salé aux lentilles au parfum rehaussé par le massala réunionnais, ou l’anchoïade rendue plus onctueuse avec l’ajout d’un avocat. On sort ainsi de la banalité, on transfigure un plat, tout comme on ne suit pas simplement une enquête de Montalbano, mais on voyage en Sicile.
   Du reste les métaphores culinaires souvent employées pour évoquer le travail d’écriture, comme « concocter un récit » ou "mitonner une intrigue" montrent bien que consciemment ou non on a établi ce lien.