samedi 30 novembre 2013


Polar et politique


Dans le polar, le roman noir ou le thriller, la peinture sociale occupe une grande place. C’est l’arrière-plan inévitable sur lequel se posent les éléments du réalisme et de la vraisemblance. L’intrigue évolue dans les méandres d’une société. Par ailleurs, cette toile de fond joue un autre rôle. Elle donne ce parfum, ce climat particulier par lequel, le lecteur goûte les nuances entre l’univers de Andrea Camilleri, celui de Henning Mankell, celui d’Arnaldur Indriðason et celui de Petros Markaris. Cette peinture et les réflexions qui l'accompagnent ne constituent, pour certains, qu'un arrière-plan des intrigues, un décor d'importance secondaire. Mais, pour le lecteur plus subtil, ce "background" permet d’inscrire le récit de fiction dans la réalité d’une société, sicilienne, suédoise, islandaise ou grecque.
Chez moi, la réflexion politique, même si elle est moins directe, moins intense que dans mon premier polar,« Matriochka », reste un élément important de l'écriture.
Dans le récit d’épouvante, « La cité au bord de la mer », elle prend une forme complexe, et, volontairement, ambiguë, que jusqu’alors, peu de lecteurs ont perçue, la majorité savourant en priorité les mécanismes du roman fantastique. En oubliant que Bram Stoker décrit avec précision l’Angleterre victorienne, et que la personnalité complexe de son comte vampire, ses rapports avec les humains, méritent largement une analyse idéologique poussée. Ce que j’esquisse, indirectement, dans « L’aube dorée ».
Dans mes livres, l’évocation des mécanismes de la corruption, le glissement vers la complaisance envers des pratiques mafieuses, c’est le thème qui revient le plus souvent, et pas, uniquement dans « Loin de Vigata ».
De « Matriochka » à « Soleil de nuit », j’exprime simplement mes désillusions.
Les partis se satisfont des victoires aux élections qui deviennent le but et plus le moyen de mettre en œuvre une politique innovante, utile à toute la collectivité. A partir de là, peu importe si les équipes ont, au mieux, révélé leur incompétence ou, au pire, leur conception élastique de l’honnêteté. On se dit que l’électeur ne votera pas pour, mais contre. Et on s’en contentera. L’important, c’est de gagner. Quant à la progression du vote nul et de l’abstention, on fera mine de s’en émouvoir et on l’oubliera le jour suivant.
Et puis, voir le camp dit « progressiste » abandonner la défense de la république, de la nation, de la laïcité à l’extrême-droite, cela m’inquiète et m’amène à m’interroger sur l’avenir.
Sans compter le fait que les politiques sociales et économiques de la Gauche sont depuis 20 ans au moins, soumises au dogme du néo-libéralisme et à une Europe qui est désormais celle des marchés et des multinationales et plus celle des peuples, des salariés et des petites entreprises qui font sa richesse.
Même la social-démocratie scandinave s’est pliée à ces principes. Ce qui la sauve jusqu’à maintenant, c’est la rigueur morale de ses dirigeants, leur souci de défendre encore le service public, les acquis sociaux et s’ils décident des restrictions ces hommes politiques commencent par se les appliquer à eux-mêmes.
Je dois ajouter néanmoins une remarque. L'usage que l'on fait complaisamment du mot "social-démocratie" me chagrine, et même plus encore. On mélange sans hésiter social-démocratie et social-libéralisme, alors que ce qui caractérise la véritable social-démocratie, celle des pays du nord, c'est une orientation économique résolument keynésienne et une politique sociale avancée qui s'appuie sur un mouvement syndical fort. Donc le socialisme de Willie Brandt, comme celui d'Olaf Palme, n'a aucune correspondance dans l'hexagone.
Fermons la parenthèse.
Chez nous, je crains fort qu'aujourd'hui, le le parti socialiste ne le soit plus que de nom. Il est devenu un parti de « cadres dynamique ». Sortis pour la plupart du même moule que les dirigeants de la Droite, ses responsables sont incapables de comprendre les difficultés et les inquiétudes des petites gens. Et lorsque des pans entiers des classes populaires vont voter à l’extrême-droite, ils les stigmatisent au lieu de se remettre eux-mêmes en question et de reconnaître qu’ils sont largement responsables de ce glissement, de ce vote protestataire. Tant, chez eux, l’autocritique est, depuis longtemps, devenu un mot creux.
La défense des pauvres, des familles modestes, des salariés, en fait le socialisme, se sont réfugiés dans les petites communes, les villages, là où les élus sont mêlés à la population, vivent les mêmes difficultés et décident avec elle des solutions à apporter.
De là, ma sévérité vis à vis de la Gauche, la sévérité d’un vieux militant qui se dit que son vote ne sert le plus souvent qu’à assurer aux élus la conservation de leurs indemnités. Pour la défense des salariés, pour la recherche d’une relance économique qui profite à tous, on verra plus tard.
Voilà pourquoi l’arrière-plan de mes intrigues, la peinture sociale, sont marqués par le pessimisme,  l’amertume. Et cela du « Livre perdu » à « Soleil de nuit ». Ainsi, mes héros ou héroïnes sont des êtres vulnérables qui essaient de résister, avec d’autres, à la pression d’un environnement qui les étouffe. Et ce qui les caractérise, c’est la lucidité et le sentiment de malaise qui l’accompagne.

lundi 29 juillet 2013

A vous, lecteurs

Sur les salons où je reviens d'une année sur l'autre, je retrouve des lecteurs qui ont découvert mes livres à l'occasion de ces rencontres.
Comme ils me demandent aussitôt quel est mon dernier livre et s'apprêtent à l'acheter sans réfléchir, je les arrête en leur précisant que mes "polars" sont différents, qu'ils peuvent aimer "Croisements" et ne pas apprécier "L'aube dorée". Je prends le temps de leur parler des autres livres. Puis, je leur demande ce qui leur a plu dans le roman qu'ils ont lu. Le plus souvent, ils me répondent : "l'histoire" et le cadre que je décris.
Mais, désormais, j'ai plus de remarques sur mon style, ma manière de construire l'intrigue. A ce moment-là, tous mes livres plaisent, et de la même manière. Et s'ils font intervenir un grand nombre de personnages, cette multiplicité ne déroute pas. Bien au contraire.
Toutefois, à plusieurs reprises, j'ai eu cette remarque : "votre ton, votre façon de raconter une histoire".
Et plus encore, "cette petite musique qui accompagne le récit et pas seulement les citations de chansons".
Mais maintenant, de plus en plus : "ce ne sont pas des polars, mais des romans, conçus comme des romans classiques".
A partir de là, j'ai le sentiment qu'on comprend mieux ce que j'écris, qu'on savoure le plaisir que procure le récit, mais qu'on ne s'arrête pas là.
Et j'avoue, lecteurs, que vos remarques ainsi que les mails que je reçois stimulent largement mon envie d'écrire, d'imaginer d'autres histoires.
Je vous en remercie.



dimanche 16 juin 2013

Mes voyages, mes récits

Les voyages que je fais en Europe me permettent de ramener des images autour desquelles je construis mes récits, romans, nouvelles et contes, polars...
La Grèce, bien sûr, mais aussi l'Italie, l'Espagne, les pays scandinaves, l'Allemagne, la Tchéquie, la Hollande...
Je pars avec l'idée d'une histoire qui va prendre forme devant les paysages, les villages et les villes.
Parfois, aussi, c'est la découverte d'un décor nouveau qui m'impressionne et me donne l'envie d'écrire une histoire à travers laquelle je peux faire partager mon émotion au lecteur.
J'avais l'idée d'un roman avant d'aller en Sicile. Le récit de "Loin de Vigata"s'est concrétisé au cours du voyage.
C'est la découverte de la Norvège et des fjords du sud, puis des Lofoten et du Cap Nord qui m'a inspiré l'envie d'écrire une histoire. "Soleil de nuit" a été achevé au cours du 3e Voyage.
Le lecteur pourra ainsi découvrir les paysages où je fais évoluer mes personnages et, peut-être, mieux percevoir les métaphores que je m'efforce, maladroitement, de tisser.
Voir :

http://travellingodusseus.blogspot.fr/

Lors des 3 journées (7,8 & 9 juin) du Salon du Polar du Lavandou, organisé par la sympathique équipe du Lions, j'ai été invité à faire un exposé sur ma vision du roman policier.
J'ai, alors, expliqué l'importance de la musique et des images dans l'écriture de mes livres. De là, j'ai pu montrer que je créais ainsi cette atmosphère onirique qui caractérise non seulement le polar mais aussi le film policier classique. Il suffit de se souvenir des films noirs des décennies précédentes, de revenir au "Cercle rouge", au "Samouraï" et au "Deuxième souffle" de Melville, au "Chinatown" de Polansky, ou, plus proches de nous, "Usual suspects" et "Driver", avec, chaque fois, des personnages étranges dans un décor et des situations qui ne le sont pas moins.
Ce qui est paradoxal, c'est d'observer que ce qui caractérise ces scénarios, c'est la vraisemblance rigoureuse et le réalisme précis, aussi bien dans la peinture des personnages que dans la construction des situations, alors que pour ces mêmes œuvres nous pouvons parler de glissement vers l'onirisme.
Prenons le film de Polansky. Une remarquable reconstitution historique, des personnages à la psychologie fouillée, et comme un leit-motiv, cette obsession de Chinatown, quartier des secrets, du mystère et décor froid, indifférent où se joue la fatalité.
Le héros ou l'héroïne, fonctionne alors, dans le livre ou sur l'écran, comme un personnage de contes de fée, franchissant des obstacles, déjouant des pièges dangereux ou s'efforçant de le faire, pour survivre. Mais se trouvant immanquablement métamorphosé ou profondément marqué par les épreuves.
Je reviendrai sur cette idée dans un autre article.